Madame la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités,
“Nous allons inscrire dans la loi l’interdiction du placement des enfants dans les hôtels”. Ces mots prononcés par l’ancien Secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, il y a tout juste 3 ans, entrent en totale contradiction avec le projet de décret déposé sur votre bureau le 30 janvier dernier.
Plutôt que d’interdire les placements en hôtel, ce projet, beaucoup trop tardif, de décret d’application de l’article 7 de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants risque, au contraire, de pérenniser ce mode de placement, avec un cadre de sécurité et d’accompagnement socio-éducatif toujours insuffisant.
De quel interdiction s’agit-il ici alors que, d’après ce projet de décret, un hôtelier ou « association gestionnaire d’un hôtel » peut, sur simple déclaration au conseil départemental, être habilité pour accueillir des enfants placés ? Si le préfet a jusqu’à 13 mois pour refuser cette habilitation, l’hôtel peut toujours héberger des enfants en attendant la décision. De plus, pourquoi ce projet de décret n’impose-t-il qu’une “surveillance” de nuit et de jour et par un professionnel qui n’a pas forcément de formation en matière éducative ? L’absence quasi-systématique d’encadrants formés dans les hôtels renforce l’isolement des enfants hébergés et les expose à toutes sortes de risques (trafic de drogue, la prostitution, violences, etc.), comme l’ont révélé les enquêtes et rapports de ces dernières années, notamment le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2019. Par ailleurs, le projet de décret ne précise pas dans quelles conditions s’applique la limitation à deux mois du recours à un placement en hôtel. Par exemple, le projet de décret ne précise pas si les départements peuvent avoir recours à plusieurs placements de deux mois pour un même enfant. Les risques de basculer dans une situation inchangée voire encore plus instable pour les enfants sont évidents.
L’Etat connaît la dangerosité des placements en hôtel et les conditions de vie particulièrement dégradantes pour les enfants qui les subissent. Il y a encore une semaine, une enfant de 15 ans s’est suicidée dans la chambre d’hôtel où elle était hébergée par le département du Puy-de-Dôme. C’est le drame de trop. Nous ne pouvons accepter que des vies d’enfants soient mises en danger dans des lieux de placement non adaptés. Le Gouvernement doit mettre en œuvre la promesse faite aux enfants et familles d’enfants placés en 2022, et interdire véritablement les placements en hôtel, sans laisser la porte ouverte à des dérogations prenant le risque de devenir la norme et d’accentuer les inégalités entre les départements.
La France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui consacre le droit pour chaque enfant d’être protégé de la violence, d’avoir des conditions de vie décentes et un refuge. Cette Convention, contraignante, vous engage ainsi à mettre tous les moyens en œuvre pour garantir à chaque enfant des conditions de vie dignes. Contraindre des enfants placés à vivre dans des hôtels, que ce soit à titre permanent ou temporaire, dans ces conditions profondément dégradantes et en proie au danger de maltraitance et de mort est, de fait, formellement incompatible avec cette Convention que notre pays s’est engagé à respecter dans l’intérêt des enfants.
À ce sujet, nous rappelons que cette mesure doit s’inscrire dans une réflexion qui apporte une réponse globale à l’effondrement actuel de notre système de protection de l’enfance, aujourd’hui profondément défaillant, afin de doter suffisamment les acteurs et structures concernées et répondre d’abord aux besoins et intérêts des enfants. Et cela passe nécessairement par l’introduction de mesures à la hauteur des enjeux dans ce décret afin de concrétiser réellement l’objectif d’interdiction d’hébergement en hôtel.
Madame la Ministre, protéger les enfants pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance relève de votre entière responsabilité. Parce que la place d’un enfant ne sera jamais dans un hôtel, ce projet de décret représente, en l’état, un danger réel pour les enfants concernés. Nous vous appelons ainsi à reconsidérer d’urgence sa réécriture afin qu’elle mette en application les promesses de votre gouvernement d’interdire au plus vite l’hébergement en hôtel et nous nous tenons disponibles afin de vous rencontrer et d’aborder la question avec vous.
Une copie de ce courrier a été transmise au Premier Ministre, Monsieur Gabriel Attal.
Veuillez recevoir, Madame la ministre, nos salutations républicaines.
Signataires :
Ugo Bernalicis, député du Nord
Arthur Delaporte, député du Calvados
Perceval Gaillard, député de la Réunion
Marie-Charlotte Garin, députée du Rhône
Karine Lebon, députée de la Réunion
Marianne Maximi, députée du Puy-de-Dôme
Sébastien Peytavie, député de Dordogne
Sandrine Rousseau, députée de Paris
Anne Stambach-Terrenoir, députée de la Haute-Garonne
Léo Walter, député des Alpes-de-Haute-Provence