Contexte
Le 16 février, les député·es espagnol·es ont définitivement adopté une loi instaurant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses.
Face à cette première en Europe, des député·es de tout bord se sont réjoui·es de son adoption et ont souhaité son arrivée en France. Mais le dire ne suffit pas, il faut agir. En tant qu’employeurs et employeuses, les député·es ont la possibilité de le mettre en place à l’échelle de leur équipe. Ainsi, Sébastien Peytavie a pris la décision de l’instaurer dans son équipe à partir du 1er mars 2023.
Sébastien Peytavie, Sandrine Rousseau et Marie-Charlotte Garin ont annoncé dans la foulée lancer une concertation pour transcrire ce droit en France à partir du 7 avril.
Expertes, associations, syndicats, entreprises, personnes concernées : toutes et tous ont aidé les député·es à approfondir le sujet et produire leur proposition de loi.
Pour clôturer cette concertation, les député·es ont organisé un colloque à l’Assemblée nationale avec deux tables rondes : Avoir ses règles au travail : entre calvaire et invisibilisation et L’arrêt menstruel : vers la reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique au travail ?
À la fin du colloque, les député·es ont déposé leur proposition de loi pour un congé menstruel.
Menstruations incapacitantes
En France, 15 millions de personnes entre 13 et 50 ans sont menstruées. Les femmes et les personnes menstruées ont en moyenne 38 années de menstruation. Elles menstruent 2280 jours, utilisent 11500 protections menstruelles dans leur vie pour un coût estimé entre 8000 et 23000 euros, soit un budget mensuel pouvant aller de 10 à 50 euros par mois.
En France toujours, l’endométriose touche près de 10% des femmes et personnes en âge de procréer. C’est une maladie complexe aux symptômes variés mais qui se traduit le plus souvent par des douleurs durant les règles et les rapports sexuels et des douleurs pelviennes. Pourtant, malgré des symptômes particulièrement handicapants, les personnes atteintes d’endométriose sont en moyenne 8 ans en errance médicale. Les dysménorrhées ne sont pas seulement présentes chez les femmes souffrant d’endométriose, mais sont aussi le symptôme d’autres pathologies comme le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), qui toucherait en France près d’une femme sur dix, ou encore d’un fibrome ou des troubles dysphoriques prémenstruels.
In fine, une personne menstruée sur deux souffre de règles douloureuses, liées ou non à une pathologie sous-jacente et peut s’accompagner d’autres symptômes, tels que des migraines, des nausées ou de la fatigue, par exemple. Les souffrances liées aux menstruations peuvent être aussi douloureuses qu’une crise cardiaque.
Selon un sondage IFOP en 2022, en France, les règles restent un sujet tabou au travail : seules 23% des personnes concernées ont déjà parlé de leurs menstruations au travail. Pourtant, 35% déclarent que leurs règles ont un impact négatif sur leur travail, et 65% ont déjà rencontré au moins une difficulté au travail liée à leurs règles.
Il n’est donc pas surprenant que 66% des personnes interrogées soient favorables à l’instauration d’un congé menstruel (ce chiffre montant à 80% chez les jeunes), et que 64% considèrent qu’elles pourraient y avoir recours. Cependant, des freins existent : 53% des personnes salariées menstruées renonceraient à recourir au congé menstruel par peur que l’on remette en cause leur parole, et 39% par peur du regard des autres.
Vision
Bien que ces douleurs soient susceptibles de concerner près de la moitié d’une population, elles semblent pourtant invisibles. Pourquoi ? Parce qu’elles concernent les femmes et une partie des personnes LGBTQ+.
Notre société normalise et banalise encore à outrance les douleurs liées aux menstruations. Le monde du travail ne fait pas exception et la douleur y reste synonyme de faiblesse dans un environnement essentiellement masculin et largement dominé par le culte de la performance. Rappelons que 65% des femmes en activité salariée ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail et que 14% sont régulièrement forcées de s’absenter.
La question des règles en général et celle des règles douloureuses en particulier est une question de santé publique. Partant de ce postulat, cette proposition de loi n’a pas vocation à répondre à l’ensemble des problématiques qui y sont liées. Ses auteurs et autrices tiennent ainsi à rappeler l’absolue nécessité d’investir dans la recherche liée aux pathologies gynécologiques et obstétricales, de lutter contre la précarité menstruelle, de former les professionnels du soin et de l’accompagnement à la prise en soin des femmes et à la lutte contre les violences gynécologiques et obstétriques, et de mettre en place des parcours de soins coordonnés, accessibles à toutes et tous, sur l’ensemble du territoire.
Lever le tabou sur les règles dans la société, passera par de nombreux leviers. Cette proposition de loi tente ainsi d’initier un mouvement indispensable : déviriliser le monde du travail. Un des leviers fondamentaux pour y parvenir reste celui de la prise en compte de la santé menstruelle et gynécologique au travail.
Il ne s’agit ici ni d’essentialiser les femmes et les personnes menstruées, ni de normaliser la douleur. C’est dans cette perspective que les auteur·es de ce texte ont opté non pas pour un congé menstruel, mais pour la mise en place d’un arrêt maladie pour menstruations incapacitantes, entièrement pris en charge par la Sécurité Sociale sur le même régime que celui des arrêts maladies classiques, sans délai de carence. D’une durée maximum de treize jours, pouvant être posés consécutivement ou séparément, sur une durée d’un an et sans limite mensuelle, sa gestion est autonome pour les personnes ayant été reconnues comme souffrant de menstruations incapacitantes. Les député·es souhaitant offrir un système souple et pouvant s’adapter à une multitude de situations, le recours à cet arrêt ne fait pas obstacle à toute autre prescription, et peut être renouvelé une fois par an pour les cas les plus graves. Toutes les personnes souffrant de dysménorrhées n’ont en effet pas nécessairement vocation à avoir recours à un arrêt de travail, la mise en place de solutions graduées est indispensable. Elle passe donc également par un accès facilité au télétravail.
Pour accompagner le déploiement du cœur de son dispositif, ce texte prévoit également des mesures d’adaptation du monde du travail pour y intégrer davantage la question de la santé menstruelle et gynécologique allant des menstruations jusqu’à la ménopause en passant par les pathologies gynécologiques : sensibilisation des salarié·es et agent·es du public ; inclusion de ces questions dans les objets de négociations collectives et dans les prérogatives de la médecine du travail ; utilisation de l’index d’égalité professionnel pour lutter contre les inégalités basées sur le genre.
Lors des auditions menées ces derniers mois, les auteur·es ont entendu les risques existants autour de la mise en place d’un arrêt menstruel. Ils et elles se sont ainsi fixé·es pour objectif de sécuriser juridiquement la situation des intéressé·es et ont ainsi souhaité inclure la santé menstruelle et gynécologique dans les principes de non-discrimination. Ils et elles se sont également assuré·es que toute mesure mise en place dans l’objectif de promouvoir la santé menstruelle et l’égalité professionnelle ne puisse faire l’objet d’une remise en cause en invoquant la création d’une différence de traitement entre les hommes et les femmes, différence légitime ici car visant à inclure pleinement les besoins de santé de ces dernières.
La proposition de loi
Le titre Ier instaure un arrêt de travail de 13 jours intégralement pris en charge par la Sécurité sociale ainsi que le droit au recours au télétravail pour les personnes salariées et agentes publiques atteintes de menstruations incapacitantes.
L’article 1 ouvre le droit pour les personnes salariées ou agentes publiques atteintes de menstruations incapacitantes à bénéficier d’un arrêt de travail, dont les modalités sont définies à l’article 2.
L’article 2 définit les modalités de recours à l’arrêt de travail pour menstruations incapacitantes. Il habilite le médecin généraliste, le médecin spécialiste, la sage-femme et le médecin du travail à constater les menstruations incapacitantes via un document dont les conditions de validité de fond comme de forme sont renvoyées à la voie réglementaire. Cette reconnaissance ouvre le droit à un arrêt de travail, intégralement pris en charge par l’assurance maladie, exempt de jours de carence, allant jusqu’à 13 jours ouvrés, posés consécutivement ou séparément, sur une durée d’un an et sans limite mensuelle. Le médecin peut, à titre exceptionnel et dans les cas les plus graves, renouveler une fois dans l’année l’arrêt de travail, dans les mêmes conditions que celles exposées dans le présent article. La personne reconnue comme souffrant de menstruations incapacitantes gère de manière autonome la pose de son ou ses arrêts de travail via la plateforme Ameli. Le recours à ces arrêts ne fait obstacle à aucune autre prescription.
La consultation réalisée dans le cadre de la prescription de l’arrêt pour menstruations incapacitantes est intégralement prise en charge par les régimes obligatoires de l’assurance maladie.
L’article 3 permet aux personnes salariées et agentes publiques d’avoir recours au télétravail en cas de menstruations incapacitantes. Cette possibilité ne se substitue pas au droit à l’arrêt pour menstruations incapacitantes.
Le titre II propose d’accompagner la mise en place de l’arrêt pour menstruations incapacitantes par des mesures de promotion de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail.
L’article 4 intègre la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective, aussi bien dans le secteur privé que public. Ces négociations doivent notamment porter sur l’aménagement du poste et du temps de travail en prenant en compte les besoins liés à la santé menstruelle et gynécologique, le recours à l’arrêt de travail ou au télétravail pour menstruations incapacitantes ou encore l’accès à des sanitaires adaptés et des protections menstruelles.
L’article 5 propose d’instaurer des cycles de sensibilisation à destination de l’intégralité des travailleurs et travailleuses et agents et agentes du public sur les questions de santé menstruelle et gynécologique, par le biais d’une obligation de sensibilisation par l’employeur tous les 3 ans.
L’article 6 élargit le contenu de l’index d’égalité professionnelle aux inégalités de genre. Cet élargissement législatif implique que les indicateurs définis par la voie réglementaire ne se limitent plus aux seules inégalités salariales mais intègrent l’ensemble des discriminations basées sur le genre, dont la prise en compte des enjeux liés à la santé menstruelle et gynécologique.
L’article 7 intègre la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action de la médecine du travail via l’accompagnement, l’orientation et le suivi médical des personnes salariées et agentes publiques, l’aide à l’aménagement de leur poste de travail ou la sensibilisation sur les menstruations. La visite d’information et de prévention devient également l’occasion d’intégrer pleinement les questions d’aménagement de l’environnement de travail et du recours à l’arrêt de travail ou au télétravail en cas de menstruations incapacitantes.
Le titre III sécurise juridiquement la situation des personnes ayant recours à l’arrêt pour menstruations incapacitantes.
L’article 8 inscrit dans le droit du travail et le code général de la fonction publique que l’état de santé menstruel et gynécologique ne peut faire l’objet d’aucune discrimination dans la vie professionnelle, que ce soit notamment en matière de recrutement, formation, rémunération ou d’évolution de carrière.
L’article 9 ajoute les dispositions prévues par cette proposition de loi dans les exceptions à la distinction entre les personnes lors de l’élaboration d’une convention, d’un accord collectif de travail ou d’un contrat de travail.
L’article 10 prévoit que les modalités d’application de la proposition de loi seront définies par voie réglementaire et entrent en vigueur six mois après la promulgation de la loi. Le Gouvernement devra également remettre au Parlement un rapport dans un délai de dix-huit mois à compter de l’entrée en vigueur, puis tous les deux ans, afin de dresser un état des lieux de la prise en compte de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. Il évaluera également les conséquences de la mise en place de l’arrêt de travail pour menstruations incapacitantes, en particulier en matière d’égalité professionnelle.
L’article 11 gage la proposition de loi.
Répondre aux craintes
« Cela va augmenter les discriminations »
La principale crainte soulevée par la mise en place du congé menstruel est le risque d’augmentation des discriminations sexistes sur le marché du travail. Nous devons pleinement entendre cette inquiétude, légitime, et résultat de siècles de domination patriarcale dans tous les domaines. Mais nous partons également du principe que les femmes souffrent déjà massivement de discriminations liées aux menstruations. L’accès au marché du travail a été conditionné à la neutralisation – sous couvert d’un monde du travail prétendument universel – de tout ce qui leur est spécifique (menstruations, grossesse, ménopause). Aujourd’hui, certaines se forcent malgré des douleurs parfois extrêmement virulentes à se rendre sur leur lieu de travail. Par cette proposition de loi, nous souhaitons mettre fin au culte de la productivité et du présentéisme. Nous considérons que ce n’est pas aux femmes de s’adapter à un monde du travail, encore beaucoup trop viril, mais au monde du travail de s’adapter à leurs besoins. Toutefois, mettre en place un arrêt menstruel ne suffit pas. D’ailleurs se contenter d’un arrêt menstruel, sans aucune mesure visant plus largement à une réelle reconnaissance de la santé menstruelle, c’est justement prendre le risque d’ouvrir la porte à davantage de discriminations. C’est pour cela que notre proposition de loi accompagne l’arrêt menstruel de mesures visant plus largement à promouvoir la santé menstruelle et gynécologique au travail. Et cela passe nécessairement par l’intégration de ces questions dans les objets de négociation collective (article 4) et les prérogatives de la médecine du travail (article 7), par la sensibilisation des salarié.e.s (article 5), par l’élargissement des critères de l’index d’égalité professionnel (article 6) et par le renforcement des mesures de protections juridiques contre les discriminations, ici basées sur la santé menstruelle.
« Comment garantir la discrétion ? »
Une autre inquiétude relative au congé menstruel est celle relevant de la préservation de l’intimité des personnes concernées : en effet, ces dernières ne souhaitent pas forcément que leur employeur connaissent la raison de leur absence au travail, en particulier lorsqu’il s’agit des menstruations. C’est pourquoi nous avons privilégié dans l’article 2 le recours à un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes (ou «arrêt menstruel») à un congé menstruel. En effet, l’arrêt de travail n’indique pas le motif médical lié à l’absence et est, en ce sens, un gage d’anonymat. La pose de l’arrêt menstruel est libre et ne nécessite pas de se rendre chez le médecin systématiquement, les arrêts étant délivrés par la plateforme Ameli une fois le certificat reconnaissant les menstruations incapacitantes fourni.
« Cela dissuaderait de consulter un·e gynécologue et entraînerait une rupture de soin. »
Certaines personnes s’inquiètent également que le congé menstruel n’engendre une rupture du parcours de soin. Au contraire, nous considérons l’arrêt menstruel comme une première étape de parcours de soin et comme un levier pour un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge des douleurs menstruelles potentiellement pathologiques. Il faut, en effet, effectuer une consultation médicale pour pouvoir obtenir le certificat débloquant les jours d’arrêt menstruel, une consultation qui, comme le prévoit l’article 2, est intégralement prise en charge par les régimes obligatoires de l’assurance maladie. De plus, l’article 5 prévoit d’instaurer des cycles de sensibilisation sur les questions de santé menstruelle et gynécologique. Enfin, l’article 7 prévoit d’intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action de la médecine du travail, notamment lors de la visite d’information et de prévention, obligatoire. Il s’agit donc d’une nouvelle porte d’entrée vers un parcours de soin et une prise en charge. Nous considérons en effet que la médecine du travail a pleinement son rôle à jouer pour un monde du travail plus inclusif des besoins des femmes et des personnes menstruées.
« Cela revient à renvoyer les femmes à la maison. »
Certaines personnes craignent aussi que mettre en place un congé menstruel revienne à “renvoyer les femmes à la maison”. Pourtant, il n’est pas question d’exclure les femmes du marché du travail mais d’adapter le marché du travail à leurs besoins. Ainsi, l’article 4, qui intègre la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective, prévoit que les négociations portent notamment sur l’aménagement du poste et du temps de travail, ainsi que sur l’accès à des sanitaires adaptés et des protections menstruelles, par exemple. Cet arrêt n’est pas obligatoire, c’est une option mise à la disposition de celles en ayant besoin et c’est la boussole que suit cette proposition de loi : donner des options aux femmes.
« Certaines personnes vont en abuser. »
Nous constatons que les mêmes personnes qui ont recours à cet argument sont celles qui considèrent plus largement que les prestations sociales sont une faveur, doivent “se mériter” et, par déduction, certaines personnes n’en sont pas dignes et en abusent. Par cette proposition de loi, nous faisons le pari de la confiance et nous partons du principe que les femmes sont celles qui savent le mieux ce dont elles ont besoin. Nous réaffirmons ainsi que cet arrêt menstruel ne relève ni d’une faveur ni d’un mérite : c’est un droit. Un droit qui émane directement de la responsabilité de l’Etat à prendre soin de sa population, dont plus d’un quart est menstruée.
« Cela va coûter cher à l’employeur ou à la sécurité sociale.»
Enfin, une autre inquiétude liée au congé menstruel est qu’il coûterait cher. Les arrêts menstruels sont intégralement pris en charge par la Sécurité sociale, non par l’entreprise, comme le prévoit l’article 2. Nous pensons, en effet, que ce n’est pas à l’employeur, mais à notre système de protection sociale de prendre en soin les salariées atteintes de menstruations incapacitantes. C’est un choix de société que nous faisons et que nous assumons pleinement. Et c’est le choix de société que l’Espagne a fait en février dernier. À nous aujourd’hui d’emboîter le pas et d’être modèle en Europe sur la reconnaissance de la santé menstruelle.