Mardi 26 novembre, en préambule de l’examen de ma proposition de loi, j’ai pris la parole à l’Assemblée nationale en tant que rapporteur pour défendre un combat essentiel : garantir le remboursement intégral des fauteuils roulants par l’Assurance maladie. Ce n’est pas seulement une question de budget ou de politique, c’est une question de dignité et d’autonomie pour des milliers de personnes handicapées en France. Dans cette intervention, je partage les enjeux concrets auxquels font face les utilisateurs de fauteuils roulants, les limites des mesures actuelles et les solutions que je propose pour enfin faire avancer ce droit fondamental. Parce que disposer d’un fauteuil adapté n’est pas un luxe, mais une nécessité pour vivre pleinement et avec dignité.
Proposition de loi sur le remboursement intégral des fauteuils roulants par l’Assurance maladie Intervention de M. Sébastien PEYTAVIE,rapporteur Commission des affaires sociales – mardi 26 novembre 2024 Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur général, Chers collègues, Ce soir, j’aurais dû être fier pour toutes les personnes en fauteuils roulants de vous présenter cette proposition de loi transpartisane, cosignée par plus de 200 députés. J’aurais dû être fier que notre Assemblée franchisse une étape cruciale pour garantir effectivement le droit à l’autonomie pour les personnes handicapées. Mais ce soir, c’est entre la colère et l’incertitude que je prends la parole en tant que rapporteur. Voilà maintenant plus d’un an et demi que nous attendons que le gouvernement présente la réforme pour le remboursement intégral des fauteuils roulants, annoncée lors de la Conférence nationale du handicap en avril 2023 par le Président de la République. Après les multiples alertes lancées par les associations sur une réforme qui s’annonçait excluante pour les fauteuils roulants les plus spécifiques, après le lancement de ma pétition en janvier dernier qui a récolté quasi 70000 signatures, après l’arrêt en juillet des négociations puis tout simplement le silence total, les négociations n’ont repris que vendredi dernier, quelques jours avant l’étude de cette proposition de loi par notre Assemblée. Le cabinet de la ministre Charlotte Parmentier Lecocq a alors annoncé qu’un décret serait publié avant la fin de l’année. Nous pourrions nous réjouir que cela arrive enfin, alors que la nomenclature n’a pas été révisée depuis 20 ans et que des milliers de personnes sont actuellement dans une détresse profonde pour accéder à un fauteuil roulant adapté à cause d’une prise en charge actuellement miséreuse. Nous pourrions nous en réjouir si ce projet de décret n’avait pas été bâclé, alors que les revendications des parties prenantes restent sans réponse. Nous pourrions nous en réjouir s’il n’y avait pas de doutes sur une telle précipitation, alors que ce gouvernement est au bord de la censure. La réalité, mes chers collègues, c’est que le remboursement intégral de tous les fauteuils roulants, y compris les plus spécifiques, ne sera toujours pas une réalité avec ce projet de décret. Pour comprendre les enjeux, nous devons déjà comprendre le véritable parcours du combattant que subissent les personnes utilisatrices de fauteuils roulants. Depuis 2005, la Sécurité sociale ne prend en charge que très partiellement les coûts d’acquisition d’un fauteuil roulant, occasionnant un reste à charge important. Si les fauteuils roulants les plus basiques, qui concernent 80% des usagers, sont intégralement pris en charge, cela est loin d’être le cas pour les fauteuils manuels et électriques, aux modularités spécifiques et adaptées aux pathologies et usages des personnes. Un fauteuil manuel configurable peut ainsi coûter entre 4000 et 12000 euros tandis qu’un fauteuil électrique évolutif peut coûter jusqu’à 40 000 euros. Plus une personne a des besoins spécifiques, plus son reste à charge sera conséquent, et ce d’autant plus alors que la nomenclature n’a pas été révisée depuis plus de 20 ans. Si les mutuelles, la PCH et les Fonds départementaux de compensation du handicap peuvent prendre en charge une partie des coûts, la multiplication des acteurs et la complexité des procédures peuvent engendrer un délai minimum d’un an pour financer son fauteuil roulant. Des personnes sont ainsi contraintes de recourir à un crédit ou lancer une cagnotte pour financer l’achat d’un fauteuil roulant adapté. D’autres sont forcées de renoncer à des fauteuils adaptés à leurs besoins, au risque d’aggraver leur état de santé. Cette situation est inacceptable et profondément indigne, alors que plus d’un quart des personnes handicapées vivent sous le seuil de pauvreté et plus de la moitié vivent dans un ménage modeste. La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui est en réponse à l’entêtement du gouvernement, renouvelé la semaine dernière, à vouloir introduire un prix limite de vente aux fauteuils roulants. Il serait ainsi établi un montant plafond, qui serait potentiellement fixé à 3100 euros pour un fauteuil manuel et 33 000 euros pour un fauteuil électrique. Comprenons la gravité de cette proposition : tout fauteuil et toute fonctionnalité dépassant d’un centime ce prix limite de vente seraient automatiquement exclues de toute prise en charge. Le prix limite de vente est un mécanisme inadapté aux spécificités liées aux fauteuils roulants. Il est injuste, inefficace et dangereux. Injuste, d’abord, car il empêcherait de nombreuses personnes handicapées de disposer d’un fauteuil adapté à leurs besoins. Les fauteuils roulants sont des dispositifs médicaux hautement personnalisés, avec des variations considérables selon les besoins des patients que ce soit les morphologies, les niveaux de mobilité, ou les besoins liés aux usages de vie, tels que la personnalisation du fauteuil pour permettre aux usagers de se l’approprier, je pense aux enfants et adolescents en particulier. Pour une personne tétraplégique, disposer d’un fauteuil léger en carbone, qui coûte plus de 10 000 euros, plutôt que d’un fauteuil plus basique, ce n’est pas une question de confort, c’est une nécessité pour se déplacer. Inefficace, ensuite, car il repose sur l’idée fictive selon laquelle les fabricants et les industriels aligneraient spontanément les prix pratiqués sur le montant plafond. Le gouvernement a également sorti de son chapeau l’inscription par nom de marque des fauteuils spécifiques : une procédure complexe et coûteuse qui va exclure les PME. Le dernier produit fabriqué par le groupe Invacare a ainsi mis 7 ans pour être inscrit via cette procédure, pour un coût de 100000€. L’inscription par nom de marque se heurterait en plus à un plafond, exigeant ainsi des fabricants qu’ils cassent leur prix par 2 pour certains fauteuils spécifiques. Une proposition totalement hors sol qui pénalisera d’abord les usagers. Dangereux, enfin, car il aurait pour effet de favoriser l’augmentation du nombre d’usagers détenteurs de fauteuils inadaptés à leur handicap, avec les conséquences sanitaires que l’on sait : douleurs, apparition et développement d’escarres, problèmes digestifs ou pulmonaires, etc. Il ne faut pas avoir peur de dire la vérité : contraindre les personnes handicapées à utiliser un fauteuil low cost, cela revient à accepter que leur état de santé se dégrade et que leur insertion soit rendue plus difficile, au mépris des promesses d’inclusion martelées pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques. C’est dans ce contexte, et pour donner une traduction concrète à l’engagement pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap, que la présente proposition de loi a été déposée. Le premier article comprend trois volets. En premier lieu, prévoir le remboursement intégral des fauteuils roulants par l’assurance maladie, pour ce qui concerne les besoins médicaux, sans préjudice des aides que peuvent verser les MDPH et de la prise en charge susceptible de relever des complémentaires santé. En deuxième lieu, organiser la révision, tous les dix-huit mois, de la liste des produits et prestations remboursables sur laquelle sont inscrits les différents modèles de véhicule,s afin de mieux prendre en compte les besoins des usagers, les évolutions technologiques, les frais d’entretien et de réparation ou encore l’accès au matériel destiné à la pratique du handisport. En troisième lieu, rétablir l’observatoire du marché et des prix des aides techniques, en sommeil depuis 2014. Désormais doté d’une existence légale, il serait chargé de renforcer l’information des usagers sur les prix de vente des fauteuils, d’évaluer le niveau de remboursement souhaitable et de contribuer à la recherche sur la remise en bon état des véhicules. Le deuxième article pose dans la loi le principe d’un remboursement intégral par l’assurance maladie de la consultation pluridisciplinaire, faisant intervenir un médecin et un kinésithérapeute ou un ergothérapeute, servant de cadre à la préconisation et à l’adaptation aux besoins du patient d’un fauteuil roulant. Cette consultation serait organisée non pas en fonction du matériel considéré mais plutôt de la nature du handicap de la personne et de ses habitudes de vie. Les alertes du Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies sur les insuffisances et le paternalisme des politiques françaises en matière de handicap nous obligent. Les associations, fabricants et distributeurs sont unanimes : la réforme actuelle reste excluante et il manque encore 150 millions d’euros pour pouvoir prétendre à un remboursement réellement intégral. Cette proposition de loi ne vise pas à se substituer à la réforme en cours mais à lui donner le cap qu’elle doit nécessairement adopter : l’accès plein à du matériel adapté pour chaque personne nécessitant un fauteuil roulant. Dans la copie qui nous est présentée aujourd’hui, le prix limite de vente exclut du remboursements les fauteuils les plus spécifiques. Face à ce problème, deux solutions se présentent à nous. Soit nous ajoutons les 150 millions d’euros nécessaires pour pouvoir prétendre à une réelle prise en charge intégrale par l’assurance maladie, soit nous garantissons une prise en charge de l’intégralité des modèles de fauteuils, quitte à ce que les mutuelles et la PCH complètent le financement. La mission de cette maison est d’écrire la norme. La rencontre avec le handicap vient interroger, bouleverser cette norme. Et penser le handicap, c’est penser la marge. Si 95 % des personnes peuvent trouver avec ce projet de décret une solution adaptée à leur besoin, notre ambition, chers collègues, doit être d’aboutir sur une loi qui ne poussera pas à celles et ceux aux besoins les plus singuliers de renoncer à leurs droits. L’agenda politique du gouvernement ou les maximes budgétaires ne peuvent entraver le droit à l’autonomie des personnes handicapées. Le droit à la mobilité, à la santé, à la pleine participation dans notre société et à l’épanouissement des personnes handicapées ne peut se monnayer. Les fauteuils roulants, qu’ils soient manuels ou électriques, constituent des extensions des corps des personnes handicapées motrices. Disposer d’un matériel parfaitement adapté à leurs besoins n’est pas un luxe. C’est une nécessité pour les personnes concernées. C’est la condition de leur bonne insertion dans la société, à tous points de vue. Oui, certains dispositifs ont un coût élevé. La dignité de celles et ceux qui s’en servent au quotidien, elle, n’a pas de prix. Je vous remercie.